Visite à une danseuse arméno-italienne, Marina Mavian, devenue iconographe
J'ai rencontré Marina Mavian, arméno-italienne, pour la première fois en août dernier à Venise lors d'une réunion de participants du cours d'été de langue et culture arménienne, organisé par l'Association culturelle Padus-Araxes. L'ancienne danseuse Marina, qui se consacre aujourd'hui à la peinture, était venue me voir en réponse à la lettre que je lui avais adressée, relative à mon étude sur les Arméniens dans le domaine de la danse. Elle avait aussi désiré donner à ses enfants; les jeunes Stéphanie et Nicola Pambagian, une occasion supplémentaire d'être dans un environnement arménien. J'ai remarqué que Marina, bien que parlant italien avec ses enfants, employait constamment dans sa conversation le mot "hokis" (chéri). Nous avons pris rendez-vous pour l'interview le lendemain dans l'île de Lido où Marina avait sa maison d'été. Marina Mavian est née à Venise, mais elle habite actuellement à Milan.
Ayant résidé dans un petit dortoir à Venise, qui manquait de fleurs, j'ai trouvé très agréable de me trouver dans un environnement domestique, de m'asseoir dans une pièce aérée, décorée de meubles antiques et de beaux tableaux, avec vue de la fenêtre sur un canal bleu et une végétation subtropicale. Dans la pièce, l'attention était attirée par une œuvre non terminée de Marina - une peinture de lettres en forme d'oiseaux de l'alphabet arménien. Les traits du visage, la chevelure et la peau claires de cette séduisante maîtresse de maison, lui donnaient une apparence totalement européenne, bien qu'elle fût ¼ italienne. En outre, l'agilité de ses mouvements trahissait le fait qu'elle avait été une danseuse de ballet de première classe.
En réponse à sa question sur mon intérêt pour l'art de la danse, je lui dis que c'était une de mes vieilles passions, et je me mis à lui présenter mon étude non-publiée intitulée: "Les Arméniens sur la scène de la danse internationale". Je lui ai montré aussi la banque de données de mon ordinateur, avec les photos que j'avais collectionnées des danseurs de ballets arméniens dans les différents pays du monde.
Marina fut agréablement surprise et dit: "Je n'ai presque jamais vu de noms arméniens dans les milieux de ballets arméniens".
Notre conversation se poursuivit en anglais, entremêlé d'italien et d'arménien.
"Les Mavian sont natifs de Bursa", commença Marina. "Mon père, Jiraïr, était aussi né à Bursa, mais il déménagea à Istanbul à l'âge de 4 ans. De là, la famille s'enfuit en Bulgarie, pour échapper à de nouveaux massacres, dont un ami turc les avait prévenus. Mon grand-père avait perdu toutes ses propriétés et ses biens, mais il construisit une grande et nouvelle maison à Burgas. Mon père allait à l'école des Mekhitaristes de Plovdiv, et à l'école Moorad-Raphaélian de Venise; par la suite, il a étudié l'économie et le commerce à Anvers, en Belgique. Ma mère, Augusta Mascarin, était la fille d'un capitaine naval vénitien, et de Nevart Ischlemedjian d'Izmir. Nous étions trois enfants dans notre famille , notre grand'mère Nevart nous parlait en arménien, par principe. Les parents de ma grand'mère avaient été rescapés du désastre qui avait ravagé Izmir en 1922, et avaient trouvé refuge à Venise avec leur fille. Plus tard, ma grand'mère Nevart rencontra par hasard mon futur père, qui était alors étudiant, dans un train, et elle l'invita chez elle. C'est ainsi que mes parents se sont connus".
L'un des sœurs de Marina, Linda, travaille dans un bureau d'affaires culturelles dans la province de Veneto; elle est l'auteur de quelques collections de poésies en italien. Rosanna, quant à elle, est journaliste, et contribue fermement à plusieurs périodiques italiens.
"Je comprends très bien l'arménien", dit Marina en souriant, bien que je ne sois pas habituée à le parler, mes parents parlaient habituellement entre eux en arménien, mais à leurs enfants en italien. J'ai appris l'arménien en les écoutant. Mon mari est un Arménien né à Milan, et ma fille Stéphanie à appris l'arménien toute seule à la maison."
La beauté naturelle de Lido, la présence de riches cultures italiennes et arméniennes, et un amour inné de l'art ont stimulé les talents artistiques de Marina-Anahid Mavian, depuis son enfance. A l'âge de 7 ans, elle a commencé à suivre les cours de l'Ecole de Ballet Serge Daghilev de Venise.
"En m'observant au cours de ma toute première leçon, le professeur m'a demandé si j'avais jamais dansé. Je n'avais jamais dansé auparavant, mais chaque mouvement, chaque position me venaient très facilement car j'étais une danseuse de ballet née.. Deux ans plus tard, le directeur d'une célèbre troupe de ballet, avec l'étoile Carla Fracci, me choisit pour participer à une production qui devait être présentée au Théâtre La Fenice de Venise.
Ainsi, ma carrière professionnelle a commencé quand j'avais 9 ans, dans notre théâtre vraiment fantastique La Fenice, dont le parfum reste toujours une part de moi-même. Quelques années plus tard, un autre danseur célèbre, nommé Roberto Fascilla, vint de la Scala, et me voyant, dit que devrais continuer mon éducation à Milan sans faute. Les résultats de mes examens étaient excellents, et je fus admise immédiatement dans la quatrième classe, au lieu de poursuivre les trois années préparatoires. J'avais déjà 14 ans, et il était rare pour quelqu'un de cet âge, une outsider, en plus, d'être acceptée dans l'Ecole de Ballet La Scala.
J'ai étudié pendant cinq ans dans cette école renommée qui est aujourd'hui une université de ballet. On nous enseignait la méthode Ceccetti-Vaganova. Nous avions un programme extrêmement chargé; nous pratiquions 12 heures par jour, de 8 h du matin à 8 h du soir, et s'il y avait une représentation le soir, nous étions occupées jusque minuit. Nous ne voyions aucune lumière du jour ces jours-là. Je n'étais libre que le samedi après-midi, et ce jour-là je le passais à apprendre le russe, puisque mon but était de perfectionner ma technique au Théâtre Bolchoï de Moscou. Je ne regrette pas que cela ne se soit pas produit puisque j'a signé un contrat avec le Deutsche Opera am Rhein, qui siège à Dusseldorf, et le Grand Théâtre de Duisburg en Allemagne."
J'ai demandé à Marina: "Pourquoi n'avez-vous pas poursuivi votre carrière à la Scala ?"
Marina répondit: "La Scala est un important centre d'opéra, mais pas de ballet.
Afin d'être un bon danseur de ballet, il faut sortir de La Scala. Si vous restez, vos efforts seront vains. L'administration a souvent changé, ce qui a causé de grandes difficultés. Maintenant, l'école de ballet a été supprimée du théâtre, alors que quand j'étais étudiante, c'était dans La Scala et on pouvait librement bavarder avec Noureev ou Vasilev, ou boire une tasse de café avec Paolo Bortolucci. Les répétitions à la Scala duraient parfois un an - avec costumes, sans costumes, sur scène, hors scène. Pendant ce temps nous nous préparions à donner une représentation d'une semaine en Allemagne. En général, la vie de ballet en Allemagne était mieux organisée; d'excellents maîtres de ballet étaient continuellement invités. Nous étions tous égaux dans le groupe; il n'y avait pas de hiérarchie parmi les artistes. Au fait, j'étais la seule Italienne et la seule Arménienne du groupe".
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En tant que membre du Deutsche Opera am Rhein dans les années 1979-82, Marina Mavian a joué dans différents ballets.
"En 1982, j'ai reçu une invitation pour travailler au Théâtre Colon de Buenos Aires. J'étais heureuse de cette opportunité mais la guerre des Iles Malouines éclata, obligeant le théâtre à fermer. En 1986, je me suis mariée, et j'ai abandonné la danse pour eux" dit Marina en souriant et montrant ses enfants.
Pour la première fois, ces derniers regardèrent attentivement les photos de ballets de leur mère, qu'elle n'avait pas sorties des albums de famille depuis longtemps.
Fermant les grilles de l'art du ballet, Marina ouvrit les portes d'un autre monde magique - les beaux arts.
"J'ai toujours peint pendant mon temps libre, même quand j'étais danseuse. Je me suis concentrée sur l'art spirituel arménien. J'ai été en Arménie pour la première fois en 1996. J'ai été aussi en Arménie occidentale et vu Aghtamar, Ani… J'ai été particulièrement inspirée par les ruines de Zvartnots et nos khatchkars (croix de pierre) pour me consacrer complètement à la peinture. J'ai commencé à représenter les monastères, à copier les miniatures arméniennes et me suis engagée dans l'iconographie sur bois. Je souhaite montrer au public qu'il existe en Arménie un très important héritage culturel. C'est là un travail nécessaire, de nous présenter au monde, puisque nos connaissances à ce sujet sont extrêmement faibles. Quelquefois, on s'approche de moi après une exposition et l'on me demande: "Ainsi, les Arméniens sont Chrétiens, n'est-ce pas ?". A ce jour, j'ai présenté deux expositions personnelles à Milan, et une à Erevan et une autre à Los Angeles. L'exposition d'Erevan a eu lieu en août 2006 à l'Institut d'Art Narékatsi, où 50 de mes œuvres, principalement des peintures de monastères arméniens, étaient exposées. Je suis très inspirée par l'Arménie. Quand on dit que l'Arménie est un musée en plein air, c'est la vérité.
J'ai dit: "Est-ce qu'il n'en est pas de même de l'Italie et de Venise en particulier?
'Venise est une cité. Mais en Arménie, on peut aller dans une région montagneuse, au bord d'une route, et voir une petite église, un chef d'œuvre artistique, ou un khatchkar qui ressemble à de la dentelle, un spécimen de musée tout prêt. Une telle chose n'existe pas en Italie".
Marina me questionna sur la situation politique actuelle en Arménie et exprima son anxiété à propos de la guerre qui a commencé en Géorgie. A la fin de l'entretien, elle dit: "l'Italie nous aime. Il y a 500 Arméniens à Milan et en Lombardie. Je suis maintenant directrice de la Maison Arménienne de Milan, où malgré l'insuffisance de moyens financiers nous donnons périodiquement des concerts, des conférences, des expositions, des films, des cours de langue arménienne et des salons de livres. Je continuerai à peindre et j'essaierai de présenter et d'éveiller l'intérêt des gens pour notre culture, à l fois à Milan et à Venise.
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